Gestion et Valorisation du Patrimoine Industriel Gestion et Valorisation du Patrimoine Industriel

 

 

 

LES REALISATIONS

 

Les usines Schneider réhabilitées    

- Ippolita Romeo & Le Bouc Céline -

    Réhabiliter est le fait de rétablir une situation, des droits, des privilèges perdus, rendre l’estime ou la considération d’autrui. La ville du Creusot a su réhabiliter les friches industrielles des usines Schneider. Les friches industrielles sont du patrimoine mais les mentalités sont réticentes à les assimiler comme du patrimoine. Elles ne retiennent des sites industriels que les points négatifs : déconsidération ouvrière, pollution et chômage. Seulement ces sites et leurs biens sont des éléments de notre histoire comme nos châteaux et cathédrales ; ils expliquent la puissance et l’histoire de nos industries.
    Pendant 200 ans, environ, la Plaine des Riaux a été un des plus importants centres sidérurgiques et métallurgiques d’Europe. Grand lieu de travail, sujet à de nombreuses démolitions et reconstructions, jusqu’à devenir lieu à vocation culturelle par excellence. La fermeture des usines laissera une friche industrielle de plus de 20 hectares. Hormis certains ateliers rachetés après la fermeture de Creusot-Loire en 1984 par d'autres industriels de la métallurgie il ne restera des ateliers Schneider que deux bâtiments des ateliers de construction mécanique : la halle d’entretien nord-ouest et la halle des grues et locomotives. La réhabilitation de ces halles s’est effectuée sur 14 ans et n’a pas été sans discussions. A tel point que l’on  peut se demander qu’elles ont été les motivations de la volonté de réhabiliter ces halles , d'autant que 14 ans est une période longue, plus que le temps nécessaire à la réalisation de deux bâtiments neufs.
    Là, où hier il y avait des usines où se sont succédées plusieurs générations, aujourd’hui triomphe le goût de la science et de l’homme. Il est devenu un lieu d’images, d’échanges, de formations et de coopérations sociales. Dans le parcours de cette recherche, nous examinerons d'abord l’aspect architectural et historique des halles puis nous étudierons le processus de la réhabilitation culturelle voire économique du site.

I . Les enjeux de la réhabilitation
   
A . Une architecture "romane" au milieu de la culture : son langage vocatif

   C'est un langage immortalisé dans les pages de quelques livres, transcrit sur la façade d’une œuvre architecturale « intacte » ou presque ! Le XIX e siècle a vécu le triomphe de l’architecture métallique, combinée, en mesure réduite, à l’utilisation et à l’assemblage du bois et de la brique. L’architecture est le symbole du savoir-faire humain. Leurs véritables témoignages, sont les bâtiments autrefois ateliers de montage et d’ajustage de la Plaine des Riaux : la halle Nord-Ouest aujourd’hui Centre Universitaire Condorcet, et l’atelier des grues et locomotives réhabilité en Bibliothèque Universitaire.

   La halle Nord-Ouest fut construite vers 1847, pour abriter les ateliers de « tournerie de chemin de fer ». Ce bâtiment avait une hauteur de 20m, et une longueur de 114 m. Ce bloc parallélépipédique présente, sur tous le côtés, une architecture de briques percées d’ouvertures en pleine cintre. A l’origine, ce bâtiment avait deux niveaux, le plancher s’appuyant sur des poteaux en bois, mais après l’incendie de 1886, l’étage est rasé et la toiture est reprise sous forme de deux toits à deux pans.

     L’atelier des grues et locomotives fut construit vers 1849 et est situé au cœur du site industriel du Creusot. Ce bâtiment a une hauteur de 28 m et une longueur de 44 m. Les deux bâtiments ont été respectivement réhabilités par M.Rio Hubert et M.Colboc Pierre; ils ont su allier les structures anciennes des halles au temps de leur pleine activité aux nouvelles qui servent à leur actuelle utilisation : une bibliothèque.

   intérieur halle des grues et locos réhabilitée  2001

    L’ensemble architecturale est constitué par une maçonnerie de briques de teinte brun-rouge, qui évoquent le style de l’église « romane ».
    La façade homogène est à structure en cabane, percée d’ouvertures en cintre symétrique ; à chaque long pan, il y a neuf baies cintrées de même dimension : la hauteur sous clé est de 6,60 m et la largeur de 3,40 m. Chaque pignon est percé de trois baies, dont la baie centrale a sa clé de cintre à 11 m du sol environ. Les murs étaient construits avec des briques fabriquées  sur le site, composées d’argile et des minerais inutilisés.
    A l’intérieur, on compte seize colonnes de fonte pour soutenir le poids de la charpente de bois (constituée de huit fermes de 26 m de portée chacune) et neuf ponts roulants métalliques (équipés de leur palan). 
   
Ces ponts manœuvrent sur des chemins soutenus par des poutrelles en treillis de fer riveté ou boulonné et fer profilé. Les neuf fosses de réparation des locomotives avec leur voie ferrée ont été comblées et recouvertes. La couverture, constituée de tuiles mécaniques de Montchanin, repose sur un voligeage de larges planches, et chaque pan de toiture comporte une série de larges verrières, montées dans des châssis métalliques.
   
La structure métallique est plus facilement modifiable, et ici ce ne sont que les poteaux (colonnes) qui portent. Les murs sont remplis des briques fabriquées sur le site. L’espace est plus adaptable, extensible, voire démontable…

    B. Histoire d'une industrie métallurgique de pointe.

    Les Schneider savaient que le site acheté à la famille Chagot en 1836 avait un potentiel important et étaient décidés à l'exploiter. Ils y réussirent puisque leur première locomotive sortira des ateliers en 1837. Rapidement ils développèrent leurs usines et entreprirent d'agrandir leurs ateliers, de les améliorer.
    Dès 1847, des projets d'aménagements furent élaborés et progressivement les anciens ateliers disparurent pour laisser place à des ateliers beaucoup plus grands et dont feront partie les ateliers "de tournerie de chemin de fer" et "de construction des grues et locomotives" ( respectivement devenus la faculté Condorcet et la bibliothèque universitaire. Ces ateliers étaient les plus importants des ateliers nord puisqu'ils rassemblaient  près de 500 machines.
    L'atelier de tournerie de chemin de fer fut construit en 1847 et l'atelier de construction des grues et locomotives en 1849 après assèchement d'un étang de refroidissement. Ces ateliers de montage et de construction étaient les plus dynamiques et ce succès entraîna une extension toujours plus grande de ceux-ci; en 1867 ils livraient cent machines par an. Cette capacité était due à une distribution très simple mais moderne : un sol dallé pour faciliter les déplacements des produits et un rail que parcourait la locomotive. Tout était aménagé pour accélérer les productions, la modernité est sans cesse recherchée; d'ailleurs la halle de construction des locomotives sera équipée, en1870, de quatorze ponts roulants facilitant le transport et le montage des pièces.


    gravure des ateliers de construction mécanique:
    (1847) 

    au deuxième plan étang devenant dès 1848
    l'emplacement de l'atelier de construction des
    locomotives, plus tard halle des grues et locos
    au troisième plan atelier de tournerie de chemin de
     fer connu plus tard sous le nom de halle d'entretien
    nord-ouest.

    Seulement à force d'extension il fallut dès cette période penser à déménager les ateliers; les nouveaux ateliers seront construits d'après des plans arrêtés le premier juillet 1917 et au sud du site. Ils seront déménagés en 1920.
Les ateliers deviendront des halles de stockage : celui de tournerie de chemin de fer deviendra la halle d'entretien nord-ouest et celui de construction des locomotives la halle des grues et locomotives après être devenue de 1945 à 1950 un atelier de réparation des locomotives.
Avant même la fermeture de la société Creusot-Loire de nombreux bâtiments avaient été détruits; des vingt hectares du site il ne restera que deux bâtiments des ateliers Schneider, après liquidation de certains ateliers vendus à d'autres sociétés telles Usinor Industeel : la halle des grues et locomotives et la halle d'entretien nord-ouest. Ces structures seront conservés et réhabilités par la communauté pour garder en mémoire que le Creusot en son temps était le berceau des technologies de pointe du XIXe et première moitié du XXe siècle.   

 

II. La réhabilitation des halles en université
   
A. Des réhabilitations échouées ...

Halle des grues et locos non réhabilitée  1990

En 1975, la halle des grues et locomotives appartenaient encore à la société Creusot-Loire mais déjà la Communauté Urbaine Creusot/Monceau-les-Mines (CUCM) cherchait à la réaménager; elle eut l'idée d'en faire un musée de l'homme et de l'industrie; pour se faire la halle fut inscrite, pour être protégée de toute destruction, à l'inventaire supplémentaire des Monuments Historiques en 1976.
    La halle devait devenir un lieu de culture où l'on pourrait y découvrir l'histoire et les techniques du Creusot . Ce projet n'aboutit jamais... 

    Quant à la halle d'entretien nord-ouest, à la fermeture de la société Creusot-Loire en 1984, la CUCM en devint propriétaire. Dès 1986 un projet de réhabilitation est entamé pour relancer l'économie de la ville en crise; l'objet de cette réhabilitation était la mise en place d'une pépinière d'entreprise; le montant de l'opération se montait à 22.700.000 de francs.
    Le bâtiment était dégradé et envahit par la végétation mais selon les plans de Hubert Rio ce bâtiment presque en ruine devint un immense pôle technologique pouvant recevoir toutes sortes d'activités de recherche, commerciales, associatives ou culturelles.
    Le problème est que le Citel, tel était devenu son nom, eut très vite une exploitation déficitaire et l'exploitation de ce pôle se trouva rapidement compromise. La CUCM se devait de trouver une autre utilité au site.


   
B. ...à la délocalisation réussie de l'université.

    Les responsables de l'académie de Bourgogne cherche en 1990 à désengorger le site universitaire de Dijon. Une première délocalisation avait été entreprise avec succès à Troyes mais une seconde semblait nécessaire. Le souci était de savoir où ... La CUCM proposa le Citel.
    Le président de l'université de Bourgogne, Gilles Bertrand, est alors venu en février 1990 visiter le site et accepta que la délocalisation se fasse au Creusot. Cette délocalisation impliqua quelques transformations mineures pour la mise aux normes du bâtiment pour accueillir les futurs étudiants
    La ville du Creusot fut choisie parce qu'elle possède toutes les structures routières, ferroviaires et commerciales utiles à l'apparition d'une communauté étudiante. Dès 1991, le Citel devint la faculté Condorcet et regroupe en plus de l'IUT des premiers cycles en langue, AES, sport et depuis 2000 un troisième cycle en gestion et valorisation du patrimoine industriel.
    La faculté Condorcet ne suffit malgré tout pas pour constituer un pôle universitaire; l'université de Bourgogne veut une bibliothèque.

faculté Condorcet du Creusot 2001


   Le problème est encore de savoir où. Les représentants de l'université pensaient utiliser un des terrains vague proche de la faculté seulement, des membres de la CUCM voulaient renouveler l'expérience de la faculté en restaurant la halle des grues et locomotives et y installer la bibliothèque
    Cette idée ne fit pas l'unanimité tant auprès des représentants de l'université que des autres membres de la communauté. Ils estimaient l'idée inadéquate voire marginale et les coûts exorbitants.
Les pourparlers commencèrent en 1990 pour s'achever en 1996, date de début des travaux; l'université refusait de prendre à sa charge la restauration de la halle même si la communauté la lui donnait, la facture étant bien supérieure à l'édification d'un bâtiment neuf. La réhabilitation se réalisera donc par un partage des travaux de la halle en lots. La restauration se fera donc avec deux maîtres d'ouvrage et des aides européennes finançant la moitié du projet qui s'élevait à près de 30 millions de francs.

bibliothèque universitaire


La CUCM restera propriétaire des murs et toit ainsi que d'une petite superficie de la halle pour y mettre un sas muséologique, rappel au projet échoué en 1978. Et l'université sera propriétaire de la superficie interne restante et de tous ses aménagements( mezzanine et sous-sol pour l'archivage, la cafétéria et les bureaux des bibliothécaires).
Les travaux ont été exécutés sous la direction de l'architecte Pierre Colboc; il a su aménager de nouvelles structures en les intégrant aux anciennes en allant jusqu'à laisser des ponts roulants de 1870 au dessus du hall central. 
    La bibliothèque ouvrira en 1998 et sera inaugurée par le ministre de l'éducation nationale, Claude Allègre. Son ouverture mettra un point final à une réhabilitation réussie des ateliers Schneider qui tout en accueillant une nouvelle activité a su garder l'aspect originel des bâtiments et leurs histoires

Conclusions  

     Ceci attire et réclame toute notre attention; on se demande quoi faire, comment réaliser des changement malgré ces difficultés. Il n'y a qu'une seule façon pour éviter "l'archivage" de l'histoire industrielle et de ces lieux, c'est celui de s'engager dans une campagne de sensibilité auprès des opérateurs culturels et des citoyens. Une sensibilité finalisée par une correcte reconversion in situ des monuments industriels, dans lesquels se sont éteintes les voix et les bruits de l'activité productive. Seule une réutilisation opportune, compatible et correcte peut sauver et préserver de la ruine les grandes cathédrales silencieuses du travail humain.


                                                         I  LAVORI  SONO  "SEMPRE"  APERTI  ! ! ! !